Silence, ça pousse

Fringales - Vadim
5 min readNov 21, 2023

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La première chose que j’ai aimée chez Paulownia, c’est son nom. Ce mot, cauchemar de secrétaire de rédaction, c’est un arbre qui pousse devant la devanture du restaurant, ouvert il y a quelque mois dans une rue pas cool de la partie pas cool du XXème. J’aime que ce ne soit pas un nom de chef, la grandiloquence d’un patronyme ou la fausse modestie des initiales — on les connaît, ceux qui signent leurs correspondances professionnelles d’un M. — et j’aime que ce soit un nom lié au lieu, qui acquière une résonance littérale, un écho dans la présence, à 300 mètres, du restaurant Paris Polska. Et que ce soit en face de l’impasse Poule.

La deuxième, c’est le hot-dog qu’ils ont servi quelques dimanches à la fin de l’interminable été de l’année 2023, le seul artifice de communication qu’ils aient utilisé (troisième chose que j’ai appréciée : qu’aucun critique ne soit encore venu ici, à part le bosseur Emmanuel Rubin. Ça, et ce nom tellement localisé, suggèrent qu’il n’y a, derrière cette ouverture, aucun marketing démesuré, aucun calcul déprimant, aucun bureau de presse pour uniformiser la production de contenu.

Paulownia, ça a l’air d’être une affaire familiale, en version gastro : un couple, Geoffrey Belin pour la moitié cuisine, Tess Duteil pour la moitié cave et salle, et un cousin aux travaux, et c’est le genre de perception nécessaire pour me faire accepter des prix typiques du processus de gentrification à l’œuvre dans nos arrondissements. Je fais plus confiance aux familles, qu’on se parle de restaurants de quartier comme Kim et Kim, rue de Chevreul, de cantines de ministère comme Dong Nai, rue des Pyrénées, ou de repère populaire comme le Petit bar).

Un hot-dog, donc, grand écart entre la street-food et les ambitions gastronomiques dévoilées par les premiers menus (le pigeonneau au sang de ceux qui rêvent à l’étoile en se rasant, ou en se mettant de l’huile dans la barbe, dans le cas du chef). Un hot-dog de cuisinier, ce qui devrait être une critique voilée car je ne suis pas convaincu que la perfection de la simplicité ultra-transformée nécessite une revisite, et pourtant : malgré un léger problème de fidélité à la définition (un hot-dog est-il un sandwich, et reste-t-il un hot-dog s’il est si généreusement garni qu’on ne peut pas le manger à la main ?), l’ajout de pommes pailles en pluie sur la saucisse au couteau et le pain boulanger auraient mérité plus de commentaires des experts de la street-food parisienne.

Il faudra l’imaginer, ma photo était pire que d’habitude

Et après, j’ai arrêté de compter, car nous y avons dîné. Je fais souvent le parallèle entre la bouffe et la mode — deux domaines les critiques ne pourraient pas se payer ce dont ils parlent sans être subventionnés, deux domaines dont les critiques disent souvent de leurs objets qu’ils ne comprennent même pas qui les achète, et comment ils se les paient. Paulownia, c’est l’idée que je me fais d’un costume en velours Drake’s : une sorte d’élégance confortable, une exigence agréable, sans aucune prétention, dans laquelle on se glisse sans que le savoir-faire ne soit pesant : technique sans faute dissimulée derrière un dressage qui peut paraître légèrement désinvolte.

C’est d’autant plus remarquable que Paulownia n’est pas un restaurant de tous les jours, à moins de faire comme ces deux amies, qui ont pris deux verres deux vins, deux plats et partagé un dessert, ce que je serais incapable de faire tant j’aurais l’impression d’être une table à perte. Mais il vaut mieux s’y arrêter une fois que d’enchaîner trois bistrots moyens qui copient-collent leurs assiettes.

La preuve : la cervelle d’agneau aux coques, topinambour et sauce aux savagnin oxydatif, on ne la voit pas tous les jours. Bon, pour une première visite, il fallait d’abord goûter le petit pâté feuilleté au cochon avec ses trois condiments, une présence permanente à la carte qui a le goût de nostalgie (moi c’était les katleti familiales, allez comprendre). Le reste — moules, canard, rouget — tire des bouts droits : les cuissons, des protéines aux légumes qui viennent colorer les assiettes, un quartier à la fois, sont un genre de démonstration silencieuse de la maîtrise du chef, au CV pas très publicisé sur les internets, mais qui vante quand même un job de second à l’Arpège. Ce qui explique sûrement les légumes, mais aussi les viandes rôties, et les sauces, omniprésentes, le genre dont rien ne reste, si bonnes qu’elles peuvent prendre le dessus sur les légumes — ce serait la seule critique qu’on pourrait faire, et encore, on chipoterait. Et pour finir sur la régression, un dessert au goût de Kinder Bueno alors qu’on attend même plus (plus du tout) de plaisir au dessert dans ces endroits. Et parce qu’une plante comme ça, ça s’arrose, un vin nature, lui aussi grand-écarté entre mer et terre, qui pourrait plaire à mon père.

La preuve, en quelques points, que pour les rues et les gens les moins cools, il y a de l’espoir.

Pâté de cochon zinzin — moules
Rouget — Canard

(Entrée-plat-dessert, vin, pour deux : 170 euros)

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